SECURITE INTER : La lune de miel de la DGSE avec l’ANR
Derrière l’idylle entre Macron et Tshisekedi, la lune de miel de la DGSE avec les maîtres-espions congolais
En marge du Sommet de Paris sur les économies africaines du 18 mai, les chefs des services de renseignement français et congolais se sont retrouvés pour resserrer encore un peu plus la coopération sécuritaire entre les deux pays.
Emmanuel Macron et le président de la RDC Félix Tshisekedi. Emmanuel Macron et le président de la RDC Félix Tshisekedi. @Christophe Petit-Tesson/EPA/Newscom/MaxPPP
Patron de la Direction générale de la sécurité extérieure ( DGSE), Bernard Emié s’est entretenu le 17 mai avec François Beya Kasongo, le conseiller spécial du président congolais Félix Tshisekedi, chargé de la sécurité. En marge du Sommet de Paris sur les économies africaines, les deux hommes ont longuement évoqué les pistes de renforcement de la coopération sécuritaire entre Paris et Kinshasa. La situation dans l’est de la RDC, en proie à un regain d’activité des groupes armés depuis le début du mois de mars, a été au cœur des échanges. Principal sujet de préoccupation et de collaboration : la lutte contre les Allied Democratic Forces (ADF) – un groupe armé d’origine ougandaise qui a prêté allégeance à l’ Etat islamique (EI, ou Daech) en 2019 – aux confins de la province du Nord-Kivu, à laquelle la DGSE prête main-forte en récoltant et en partageant des renseignements.
Bernard Emié, familier du « M. Sécurité » de Tshisekedi
Ce n’est pas la première fois que Bernard Emié rencontre le « M. Sécurité » du chef de l’Etat congolais : les deux hommes ont multiplié les prises de contact depuis l’investiture de Félix Tshisekedi en janvier 2019. Le patron du renseignement extérieur français avait même rencontré le président en personne et en quasi-tête-à-tête, en novembre 2019. L’entretien s’était déroulé dans la capitale française, en marge du Forum de Paris sur la paix, lors d’un déjeuner au palace parisien Le Bristol en présence de Beya. Si la DGSE s’est longtemps accommodée de l’ancien tout-puissant patron de l’ Agence nationale du renseignement (ANR), Kalev Mutond, la relation avait fini par se détériorer alors que Joseph Kabila s’accrochait au pouvoir au-delà de son mandat constitutionnel.
Au lendemain de son élection, Tshisekedi s’est séparé de Kalev Mutond, visé par des sanctions américaines et européennes, et a désigné son adjoint, Justin Inzun Kakiak, pour lui succéder à la tête de l’ANR. Une nomination qui a permis de réchauffer les relations entre la DGSE et l’ANR ces deux dernières années. Justin Inzun Kakiak s’est ainsi révélé être un partenaire « apprécié » des services français.
La situation à l’est de la RDC au cœur de la coopération
La DGSE mobilise un pan de sa capacité de renseignements techniques et humains dans la région des Grands Lacs et notamment sur la zone de Beni, au Nord-Kivu, épicentre des massacres de civils attribués, depuis 2014, aux ADF. Le sujet, qui avait déjà été évoqué lors d’un déjeuner de travail à l’Elysée entre Emmanuel Macron et Félix Tshisekedi le 27 avril, l’a de nouveau été lors d’un bref tête-à-tête entre les deux présidents le 18 mai.
Au début du mois de mai, le président congolais a décrété l’état de siège dans les provinces orientales du Nord-Kivu et de l’Ituri. La France, qui appuie la mise en place d’une école de guerre à Kinshasa, planche en parallèle depuis deux ans sur des modules de formation à destination des Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC). Ceux-ci doivent être assurés par les Eléments français au Gabon (EFG) commandés par le général Jean-Pierre Perrin. Le renforcement de la coopération sécuritaire entre les deux pays devrait même être l’un des principaux axes de la visite que souhaite effectuer le président français à Kinshasa à l’automne prochain.
Depuis le printemps, Paris pousse également à Bruxelles pour le déploiement d’une mission de formation des FARDC de l’ Union européenne (UE), afin d’appuyer les efforts de l’état-major congolais dans l’est du pays. Calqué sur le modèle des missions de training » EUTM » – déjà présentes au Mali et en RCA -, le projet, qui en est encore au stade embryonnaire, a les faveurs de plusieurs Etats membres et du président du Conseil européen, Charles Michel, qui était à Kinshasa fin avril.
La CIA sur la pointe des pieds
Si la coopération avec les services français est très largement appréciée par les sécurocrates congolais, les relations avec la CIA restent, elles, plus embryonnaires, et ce, bien que l’agence américaine ait toujours joué un rôle important dans le pays. Les officiers généraux congolais considèrent que Washington n’a pas encore totalement traduit son soutien politique au président congolais en un appui militaire. La coopération sécuritaire entre les deux pays, rompue sous la présidence de Joseph Kabila, a officiellement repris en août 2020, mais reste limitée. Dans ce cadre, Kinshasa mise beaucoup sur la restructuration à venir à la tête de la CIA, dirigée depuis mars par William Burns. Secrétaire d’Etat adjoint sous Barack Obama de 2011 à 2014, le diplomate avait, à l’époque, brièvement travaillé sur la région des Grands Lacs.